Trois amanites à distinguer

 

 

J’aime bien les amanites ; ce sont pour la plupart des champignons spectaculaires, au port élégant, aux couleurs souvent vives, qui ont la louable qualité de ne pas cacher leur identité ; le plus souvent, on les reconnait facilement. Ce genre sympathique n’a qu’un défaut, il comporte, à côté de quelques comestibles, dont la fameuse oronge, plusieurs espèces toxiques dont certaines mortelles, l’amanite phalloïde, responsable de la presque totalité, des intoxications mortelles en France, l’amanite vireuse, l’amanite printanière et l’amanite proche de l’amanite ovoïde (Amanite proxima).

       Rappelons les caractères généraux du genre Amanita : il est constitué par des espèces leucosporées (à spores blanches), poussant sur le sol (jamais sur le bois), à pied facilement séparable du chapeau, à lames libres (qui n’atteignent pas le haut du pied). Ce pied est muni à la base d’une volve membraneuse ou en bourrelet, et porte généralement un anneau.

       Parmi les espèces toxiques, mais non régulièrement mortelles, il en est une qui va faire le sujet de notre causerie, c’est l’amanite panthère (Amanita pantherina) responsable d’une intoxication dite syndrome panthérinien. Ce syndrome à incubation courte (les premiers symptômes apparaissent moins de 6 heures après la consommation du champignon) se traduit par des troubles gastro-intestinaux (nausées, vomissement, diarrhée) et surtout par des troubles neuropsychiques, état ébrieux avec obnubilation, anxiété, agitation, hallucinations et délires, tremblements, troubles de l’accommodation visuelle, fasciculations musculaires, paresthésie, puis dépression avec prostration et parfois coma convulsif. La régression intervient spontanément en 8 à 12 heures. Une issue fatale est possible chez les personnes fragilisées.

       Nous rencontrons souvent l’amanite panthère dans les forêts que nous avons l’habitude de prospecter ; c’est pourquoi nous allons l’étudier de plus près, en faisant par ailleurs une étude comparative avec deux autres amanites, elles aussi communes, et que l’on peut confondre avec la panthère ; l’une est un comestible médiocre : l’amanite épaisse, l’autre est un bon comestible : l’amanite rougissante ou golmotte.

L’amanite panthère (Amanita pantherina) a un chapeau dont le diamètre peut atteindre 10 cm. Ce chapeau, rapidement étalé et plat, régulier, a une cuticule dont la couleur est dans la gamme des bruns : brun-bistre, brun-gris, brun-beige, palissant un peu avec l’âge. Cette cuticule est parsemée de petites verrues d’un blanc très pur (on les compare à des morceaux de peau de lait) et immuable (tout au plus un peu sali dans la vieillesse). Ces verrues sont saillantes, serrées, mais bien distinctes, souvent disposées avec régularité et de façon concentrique. Elles sont fragiles et détersibles et souvent emportées par la pluie. La marge du chapeau est régulière, arrondie, et caractère important, précocement striée par de courtes cannelures. Le pied est blanc séparable, élancé, renflé à la base en un bulbe arrondi ; ce bulbe est enserré par une volve membraneuse, sauf dans sa partie supérieure qui est floconneuse (ce qui explique l’origine des verrues du chapeau constituées par cette partie floconneuse emportée sur le chapeau). Cette volve est blanche et forme un rebord étroit et régulier qui couronne le bulbe, on dit qu’elle est circoncise. Au-dessus du bulbe le pied montre un bourrelet ouateux qui s’enroule en spirale ascendante d’une à plusieurs spires blanchâtres, fragiles et facilement détériorées. Le pied porte un anneau bas situé presque médian, non strié sur sa face supérieure, fragile, blanc. Les lames sont assez serrées, libres, blanches. La chair, d’odeur faible et de saveur douce, est blanche. L’amanite panthère, pousse surtout sous les feuillus, isolée ou en groupe réduit à quelques individus, sur des sols divers. Elle est plus ou moins commune selon les régions et assez inconstante selon les années. Pour ce qui nous concerne, c’est un hôte habituel de nos terrains de chasse. De cette description retenez prioritairement comme caractéristiques de l’espèce les trois critères suivants : l’aspect des petites verrues du chapeau d’un blanc très pur, la marge striée, et la présence du bourrelet hélicoïdal ouateux au-dessus de la volve du pied.

L’amanite rougissante ou Golmotte est très commune ; c’est même avec l’amanite citrine, la plus commune des amanites. Son chapeau (5 – 15 cm de diamètre) plutôt charnu, finalement étalé, aplani, est de couleur très variable, allant du blanc à peine marbré de carné roussâtre clair au brun rougeâtre plus ou moins foncé, avec de nombreux tons intermédiaires. Il est plus ou moins recouvert de plaques écailleuses ou de verrues irrégulières, détersibles, farineuses, confluentes surtout au début, blanchâtres puis jaunâtres, grisâtres ou brunâtres. Sa marge est mince, régulière, unie et absolument pas striée. Le pied est séparable, à base bulbeuse plus ou moins radicante, sans volve (très friable elle a été emportée en totalité sur le chapeau) ; il porte un anneau blanc apical, membraneux, persistant, strié au-dessus, le pied est de couleur blanchâtre plus ou moins teinté de rosé vineux, surtout à la base. Les lames sont serrées, libres, blanches, maculées de rouge vineux avec l’âge. La chair, d’odeur nulle et de saveur douce, est blanche teinté de rouge vineux sous la cuticule du chapeau et dans le bulbe de pied, ainsi que dans les mangeures de vers (ce rougissement aux endroits lésés est typique) ; elle rougit lentement à la section au contact de l’air.

La golmotte pousse sous les feuillus et sous les conifères, sur tous les types de sols avec une préférence pour les sols non calcaires, isolée ou en petits groupes. Elle est précoce et apparait dès le printemps et pousse encore tard en saison. C’est un bon comestible, mais sa saveur ne convient pas à tous. Elle est toxique à l’état cru, car elle contient des hémolysines qui détruisent les globules rouges du sang. Ces hémolysines sont détruites par la chaleur (à partir de 65 degrés). Il est donc impératif de consommer la golmotte suffisamment cuite. L’amanite rougissante fait preuve d’un polymorphisme déconcertant, aussi bien dans sa taille et sa stature (on trouve des formes chétives dont le diamètre du pied ne dépasse pas quelques millimètres) que dans l’intensité de son rougissement (parfois généralisé et évident, parfois si discret, qu’il faut le chercher avec attention au niveau du bulbe du pied et des mangeures de vers). Le risque de confusion avec l’amanite panthère est réel lorsqu’on a affaire à des exemplaires de golmotte atypiques âgés et en mauvais état de végétation. Le meilleur critère de différenciation reste le rougissement de la chair, même léger et localisé ; il faut aussi se souvenir que la panthère à un chapeau dont la marge est striée et un anneau non strié sur le dessus … et si le doute persiste mettre en application la règle de prudence incontournable : au moindre doute on rejette.                 

L’amanite épaisse (Amanite spissa ou plus exactement et actuellement Amanite excelsa var. spissa : amanite élevée variété épaisse). On peut grossièrement la définir comme une golmotte qui ne rougit pas, car l’aspect de son chapeau est très semblable à celui de la golmotte : ce chapeau (8-15 cm de diamètre) est couvert d’écailles et de plaques amples, irrégulières, farineuses, confluentes (d’où un aspect « en carte de géographie »), blanchâtres ou grisâtres, facilement détersibles par temps humide, mais adhérentes par temps sec. La cuticule du chapeau est de couleur brune ou gris-brun. Sa marge n’est pas striée ; le pied est séparable, blanc, plus ou moins chiné de grisâtre, à base bulbeuse par un bulbe napiforme (en forme de navet) terminé en pointe ; il est dépourvu de volve (comme chez la golmotte elle a été presque totalement emportée sur le chapeau) et muni d’un anneau apical, bien développé, persistant, membraneux, strié sur le dessus, blanc. Les lames sont assez serrées, libres, blanchâtres. La chair est blanche et immuable, odeur plus ou moins accusée de radis, de rave (odeur raphanoïde) et saveur douce.  

L’amanite épaisse pousse sous les feuillus et sous les conifères, sur sols plutôt non calcaires isolée ou en petits groupes. Elle est commune. C’est un comestible médiocre et à rejeter car, en plus de sa valeur culinaire réduite, il y a d’incontestables dangers de confusion avec la panthère, même pour un mycologue chevronné, pour peu que les exemplaires soient atypiques, âgés ou en mauvais état de végétation. Comme pour l’amanite rougissante (qui a en plus le rougissement de sa chair) ce qui la distingue de la panthère, ce sont l’aspect très différent des verrues du chapeau, la marge du chapeau non striée, l’anneau strié et (seulement pour l’amanite épaisse) l’odeur raphanoïde de la chair, malheureusement pas toujours très perceptible.

 

Nous voilà au terme de notre petite causerie. J’espère qu’elle vous aidera à distinguer sur le terrain ces trois amanites voisines, et plus particulièrement à identifier l’amanite panthère, espèce redoutablement toxique.

 

 

                                                                                                  Dr.  Jean  Prady