UNE  PHOLIOTE  TRES  FREQUENTABLE

  

 

Nous allons parler aujourd’hui d’un champignon peu ou pas connu du grand public et pour lequel j’ai une particulière sympathie car il est, à mon goût, le meilleur que nous offre la flore mycologique de notre pays. Certes, je ne dédaigne pas un plat de jeunes cèpes (surtout s’ils sont cuisinés à la bordelaise), une omelette, de girolles fraîchement récoltées (avec des œufs brouillés, c’est encore mieux) ou des oronges rapidement sautées en persillade (ce champignon délicat doit être cuisiné avec retenue), mais, pour moi, aucune de ces vedettes de la cuisine mycologique n’est aussi savoureuse que la pholiote du peuplier qu’il ne faut pas confondre avec la pholiote destructrice de ce même peuplier.

La pholiote du peuplier, ou agrocybe du peuplier ou pivoulade, a pour nom scientifique actuel Agrocybe aegerita (du grec aigeiros qui désigne le peuplier noir). Antérieurement, les fluctuations de la nomenclature lui ont valu les noms de Pholiota aegerita puis d’Agrocybe cylindracea. Pour rencontrer notre pholiote, il ne faut pas prospecter les sous-bois ombreux car elle pousse surtout sur les souches de peupliers noirs, blancs (tremble), rarement sur le bois mort de saules, exceptionnellement sur d’autres feuillus : chênes, sureau, robinier, orme, frêne, érables, et même sur platane.

Comment se présente notre champignon ? Au début, son chapeau (3-10 cm. de diamètre) est hémisphérique et fermé contre la partie supérieure du pied puis il s’ouvre et devient convexe, enfin il s’étale et même peut se déprimer légèrement, rarement il est un peu mamelonné. Souvent, ce chapeau est irrégulier et comprimé par la pression contre le support ou par les champignons voisins car la pholiote du peuplier pousse souvent en touffes denses. La surface du chapeau est sèche, glabre et lisse puis, avec l’âge, elle devient ridée et souvent craquelée par temps sec ou venteux. Sa couleur varie beaucoup avec l’âge. Les jeunes exemplaires sont très foncés, bistre noirâtre, brun-acajou, comme un marron d’Inde, mais en grandissant cette couleur pâlit considérablement et le chapeau passe au roussâtre clair, à l’ochracé pâle, au café au lait clair et même au blanchâtre, le centre gardant toujours quelques nuances pâles de la couleur initiale. Le pied est long, cylindrique, souvent atténué à la base, plein et ferme, blanchâtre et finement fibrilleux. Il brunit un peu avec l’âge. Il porte un anneau haut situé, membraneux, persistant, blanc, vite poudré de brun par les spores. Les lames sont serrées, blanchâtres puis brun-ocre à brun tabac. La chair est compacte et blanche. L’odeur est diversement interprétée par les auteurs et a donné lieu à des comparaisons diverses et étonnantes, de vieille futaille de vin, de vieux bouchon moisi, de rave ou de raifort, de lait caillé, de fruit. Personnellement, je lui trouve plus simplement une forte odeur mais agréable. Sa saveur est douce. Les spores en masse (c’est-à-dire la sporée) du champignon sont brun tabac.

Vous trouverez donc presque toujours ce champignon sur les souches ou sur le bois mort des peupliers, parfois sur des souches enfouies ou sur des racines mortes et alors il semble pousser sur le sol. Il peut arriver qu’il pousse en parasite sur tronc et racines d’arbres vivants. C’est une espèce thermophile et plutôt méridionale, rare dans le nord mais assez commune dans notre région (en gros, son aire de distribution est celle de la vigne). Elle pousse du printemps à la fin de l’automne et même en hiver si les conditions météorologiques sont assez clémentes et assez humides. Une même souche peut ainsi donner plusieurs récoltes par an.

Avec un peu d’attention, les risques de confusion avec des espèces toxiques sont très faibles. Ainsi, les autres pholiotes qui poussent sur le bois ont des aspects très différents, leurs chapeaux sont souvent visqueux, au moins par temps humide. La plus fréquente, Pholiota squarrosa (pholiote écailleuse) a le chapeau et le pied couverts d’écailles brun roussâtre vif. Elle n’est d’ailleurs pas toxique, tout au plus indigeste. Au pire, elle peut provoquer, chez certaines personnes, des troubles gastro-intestinaux bénins.    La très fréquent armillaire couleur de miel (Armillaria mellea que les auteurs modernes ont démembré en six espèces différentes) pousse aussi sur le bois, souvent en touffes denses. La confusion avec la pholiote du peuplier est théoriquement plus facile mais serait sans conséquence grave car, si l’armillaire est un fade et médiocre comestible, elle n’est pas réellement toxique.

La pholiote du peuplier peut se cultiver et sa culture est connue depuis l’Antiquité (Pline et Dioscoride en parlent). Le mycologue catalan André Marchand nous donne ainsi la recette d’une méthode de culture familiale qui marche à tous les coups. Je vous la communique « in extenso » : Prendre une section d’environ 30 cm. dans un tronc de saule (Salix alba) ou de peuplier (Populus alba, P. nigra, P. tremula, P. X euramericana). Tonçonner à 4 cm. d’une extrémité et intercaler entre les deux morceaux ainsi obtenus des débris de lames du champignon, si possible mêlés à du mycélium prélevé sur une souche sauvage productive. A l’aide d’un long clou, fixer le disque supérieur par le centre sur les débris que supporte le grand morceau puis enfouir le billot ainsi inoculé dans un terrain humide. L’opération doit s’exécuter de préférence en avril-mai et il importe que l’ensemencement se réalise sur une coupe fraîche de bois. En position verticale, le billot ainsi inoculé reste en silo pendant 4 mois environ dans un trou de 40 cm. de profondeur que l’on recouvre de branchages et de 20 cm. de terre. Toujours pour maintenir l’humidité, on arrose alentour plusieurs fois jusqu’au début de septembre où l’on découvre le billot et le remonte un peu, de sorte qu’il dépasse le niveau du sol d’une dizaine de centimètres. On comble les espaces libres puis on tasse la terre autour des 20 cm. de bois qui restent enterrés et s’humidifient par capillarité. La phase de fructification peut alors commencer. Si ce n’est pas simple, c’est précis ! J’avoue que je n’ai pas essayé mais si le cœur vous en dit et si vous avez un peuplier sous la main, vous pouvez tenter le coup. Il paraît qu’on peut obtenir jusqu’à 9 récoltes par an !

Voilà, vous savez tout, ou presque, sur la pholiote du peuplier, la pivoulade des gens du sud. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter de découvrir une grosse souche de peuplier couverte de ce délicieux champignon qui gagne à être connu. Si vous prenez la précaution de rejeter les pieds trop fibreux et de ne retenir que les exemplaires jeunes , les vieux étant trop coriaces et d’ailleurs souvent véreux, votre récolte, simplement sautée en persillade, vous surprendra agréablement par sa consistance croquante et la subtilité et l’originalité de son arôme.                                                                                                                           

                                                                                                                           Dr.  Jean Prady