UNE DELICATE ESPECE DES PRAIRIES

 

 

Aujourd'hui, comme dans la chanson, nous n'irons pas aux bois, non pas parce que les lauriers sont coupés, mais parce que le champignon qui fait l'objet de notre article n'aime pas l'ombre des forêts. Il ne pousse qu'au grand air, dans les endroits découverts. Son nom scientifique est Marasmius oreades (Bolt :Fr) Fr. qui se traduit par marasme des Oréades. Entre parenthèses, si le nom est charmant, les Oréades étant les nymphes de la montagne, on peut se demander pourquoi on a affublé d'un tel nom un champignon qui pousse surtout en plaine. La nomenclature mycologique nous a habitués à de telles discordances pensez au lactaire délicieux (Lactarius deliciosus (L :Fr.) S.F. Gray) dont la succulence est très relative, ou au bolet jaune (Suillus luteus (L :Fr.) Roussel) dont le chapeau est brun chocolat.

Revenons à notre marasme. C'est un champignon modeste, d'abord par sa taille (son chapeau a un diamètre de 2 à 5 cm en moyenne), modeste aussi dans son aspect général une couleur ocre roussâtre uniforme du chapeau, du pied et des lames, bien banale dans le monde des champignons. Avec un chapeau lisse et glabre sans aucune ornementation, un pied nu dépourvu d'anneau, de cortine et de volve, on ne peut guère faire plus simple. Tout au plus fait-il preuve d'un peu d'originalité par ses lames nettement espacées et par l'odeur particulière de sa chair odeur agréable, dite cyanique ou coumarinique, c'est l'odeur de la flouve odorante, graminée qui donne au foin son parfum. Encore faut-il dire que cette odeur est plutôt faible, j'avoue que je ne l'ai jamais retrouvée sur aucune de mes multiples récoltes. Je trouve simplement que notre marasme a une bonne odeur de champignons. Pour compléter la fiche signalétique disons que son chapeau a presque toujours un petit mamelon central obtus, que ce chapeau est hygrophane, c'est-à-dire qu'il change de couleur en fonction de son degré d'hydratation, ainsi il pâlit et devient chamois en séchant. Enfin, et c'est là un caractère important, sa chair est peu fragile, élastique et même coriace dans le pied qu'on peut plier et tordre sans le rompre.

Comme je vous l'ai dit, il pousse hors de la forêt, dans l'herbe des prés, des pâturages, des parcs, au bord des chemins et des routes de campagne, dans les jardins, les clairières des bois. A Baule, où j'habite, on le trouve aussi dans les vergers de pommiers. Il est très commun et fructifie plusieurs fois dans l'année, du printemps à l'arrière automne, si les pluies sont suffisantes. Il ne pousse jamais isolément mais toujours en groupes de nombreux individus disposés généralement en lignes plus ou moins zigzagantes ou plus souvent en cercles plus ou moins larges, les fameux ronds de sorcières.

Là où il pousse, avec un peu d'attention, il est difficile de le confondre avec une espèce toxique. Théoriquement il peut y avoir un risque de confusion avec certains clitocybes blancs très dangereux (par définition ils sont blancs, ont des lames serrées et décurrentes et un pied cassant) et certains inocybes toxiques (lesquels ont aussi des lames serrées et un pied cassant). Il existerait aussi un marasme des collines (Marasmius collinus (Scop :Fr.) Sing.) quasi sosie de notre marasme des oréades et susceptible de provoquer des troubles gastro-intestinaux. Si j'en parle au conditionnel, c'est parce que je ne l'ai jamais rencontré, parce que je ne connais pas un mycologue qui l'ait récolté et parce que je n'ai jamais vu dans aucun ouvrage spécialisé une photo ou même une simple reproduction de ce champignon. On peut à juste titre douter de l'authenticité de cette espèce fantôme. Ces considérations nous donneront cependant l'occasion de rappeler une des règles d'or de la récolte mycologique : tous les champignons doivent être contrôlés un par un, tout exemplaire qui n'est pas formellement et indiscutablement identifié sera, au moindre doute, rejeté.

Donc récoltez sans inquiétude particulière les marasmes des oréades. Vous pourrez alors consommer un excellent comestible, à juste titre réputé, de consistance et de goût très agréables. Ne conservez que les chapeaux car les pieds sont trop coriaces. Il se conserve très bien après dessication, cette opération exalte encore son parfum. C'est en accompagnement dans un jus de viande ou de volaille qu'il vous offrira le summum de ses qualités culinaires. Vous pouvez aussi le faire tout banalement sauter à la poêle (évitez l'ail qui masque son goût subtil) ou en omelette.

A ce propos, je vais vous donner un bon conseil, vous faire profiter d'un « truc » que je tiens d'un grand chef de cuisine Camille Fauvel. Au lieu de la classique omelette aux champignons, essayez de faire des oeufs brouillés aux champignons, ce n'est pas plus difficile, c'est moins présentable, mais la saveur des marasmes est nettement plus accusée. Ce petit secret ne m'a pas été confié de vive voix car notre chef est mort depuis longtemps. Je l'ai prise dans un livre, pour ceux que ça intéresse à la page 225 du tome premier des Champignons d'Europe de Roger Heim. Ce mode de cuisson est d'ailleurs valable pour tous les champignons.

Voilà, vous savez tout sur Marasmius oreades. Si vous avez, comme moi, la chance d'habiter une commune rurale et si vous vous promenez fréquemment dans la campagne environnante, vous rencontrerez notre sympathique petit marasme. Vous saurez le reconnaître maintenant petite espèce entièrement ocre roussâtre par temps humide, chamois par temps sec, à chapeau mamelonné, à lames espacées, à pied élastique et coriace, qu'on plie ou tord sans le casser et qui pousse en troupes nombreuses disposées en lignes ou en ronds. Ramenez-le chez vous. Consommé le soir même ou séché pour l'hiver qui arrive, il ne vous décevra pas.

                                                                                                  

Dr. Jean Prady

 

P.S :   

On est toujours trop péremptoire, en mycologie comme ailleurs. Ainsi dans ma petite causerie sur Marasmius  oreades, je disais mon scepticisme sur la réalité de l’existence de Marasmius  collinus que je n’avais jamais vu au cours d’une vie de mycologue déjà longue. Or,  quelques jours après, un membre de notre association m’apportait une récolte de Marasmius  oreades « pas comme les autres » et pour cause ! après examen il s’agissait  indubitablement de Marasmius collinus. Donc acte et mea culpa ! Marasmius collinus existe bien, nous nous sommes enfin rencontrés.