Les Russules des pins

 

La majorité des champignons supérieurs (les gros champignons que l’on voit à l’œil nu) sont mycorhiziques, c'est-à-dire que le mycélium du champignon noue avec les racines d’arbres, d’arbustes ou de plantes herbacées des rapports très intimes, à bénéfice réciproque, l'un fournissant à l’autre des substances nécessaires à son développement. Nous ne nous étendrons pas sur ces mycorhizes, ce qui risquerait de nous amener trop loin. Ajoutons seulement que, sans elles, la forêt n’existerait pas ou tout au moins, ne serait pas en bonne santé.

C’est l’existence de ces mycorhizes qui explique ce que chacun peut constater : si certains champignons viennent sous toutes les essences, comme par exemple le banal Laccaria laccata, (on dit alors qu’ils sont ubiquistes), d’autres ne viennent que sous les feuillus ou les conifères ou même ne poussent que sous une seule essence, comme Suillus grevillei et Suillus viscidus qui ne poussent que sous les mélèzes ou Geopora sumneriana sous les cèdres. Cette exclusivité plus ou moins grande dépend du nombre d’essences avec lesquelles le champignon peut établir des associations mycorhiziques.

Ces considérations un peu filandreuses ont une importance pratique pour déterminer un champignon, il est utile, sinon nécessaire, de savoir sous quel arbre il a été récolté. Si vous m’annoncez avoir trouvé une russule sardoine dans une chênaie-charmaie exempte de tout conifère, je peux sans voir le champignon, vous assurer que vous vous trompez, notre russule ne poussant que sous les pins.

Cela pour arriver à notre causerie du jour, les russules des pins, c’est-à-dire les russules qui n’acceptent de pousser que sous les pins. Nous n’envisagerons que les plus communes, celles que vous avez toutes les chances de trouver lorsque la poussée fongique est conséquente et que votre quête vous amène dans les sous-bois de conifères. Nous ignorerons les espèces exclusivement montagnardes et les espèces rares chez nous. Dans ces conditions, ces russules sont au nombre de 7 :

 

RUSSULA SARDONIA ( russule couleur de sardoine, la sardoine est une variété brune de l’agate ). Russula drimea (russule âcre) est synonyme.

C’est une espèce de taille moyenne. Son chapeau à cuticule pourpre violacé, mais aussi violet foncé, pourpre noirâtre, rouge brunâtre, brun vineux, pourpre rouge, avec des panachures et des marbrures plus claires ou plus foncées et le centre souvent sombre. Le pied est assez élancé plus ou moins largement teinté de pourpre violacé, de violacé bleuâtre sombre, avec les deux extrémités plus claires , voire blanchâtres. Il n’est pas exceptionnel que le pied soit très partiellement coloré, voire tout blanc. Les lames nous offrent deux caractères spécifiques : leur couleur jaune citrine et leur coloration en rose rouge par l’ammoniaque, encore plus nettement par ses vapeurs (il suffit de présenter les lames au goulot du flacon d’ammoniaque) ; cette réaction est parfois lente (jusqu’à dix minutes sur les vieux exemplaires) ; on peut la faciliter en incisant transversalement les lames et en attendant une minute. La chair a une odeur faiblement fruitée mais une saveur rapidement et fortement âcre. La russule sardoine pousse sous les pins, surtout en terrain sablonneux, siliceux et acide où elle peut être extrêmement abondante. Son âcreté la rend inconsommable. La variété de couleur de cette russule peut au premier abord désarçonner (il existe même une variété jaune et une variété blanche), mais on la reconnaît à ses lames citron vif (avant maturité, les spores les colorant ensuite en citrin ocre) à sa chair très acre, à sa réaction à l’ammoniaque et à son habitat.

 

RUSSULA TURCI ( Russule de Turco , cette russule a été dédiée par l’abbé Bresadola -1874-1929 – célèbre mycologue italien, à la comtesse Turco-Lazzari qui faisait les aquarelles des champignons qu’il décrivait ).C’est aussi une espèce de taille moyenne. Son chapeau dont la cuticule est séparable sur le tiers ou la moitié du rayon, est franchement visqueux par temps humide, particulièrement au niveau du disque ; par temps sec, il est mat et pruineux. Il est lui aussi de couleur variable : violacé rose améthyste, lilas pourpré, rougeâtre carminé ou brun ; souvent il se présente avec un centre foncé pourpre noir ou bistre noir, entouré d’un cerne lilacin rougeâtre, ce qui donne un aspect en cocarde caractéristique ; sous l’action de la pluie ou de l’âge, la cuticule jaunit par places. Le pied est entièrement blanc. Les lames sont jaune de beurre puis jaune ocracé. La chair est blanche, de saveur douce, c’est elle qui par son odeur nous donne l’identité du champignon : elle dégage, particulièrement, à la base du pied une odeur d’iodoforme plus ou moins accusée, souvent nette (mais qui peut être moins évidente sur les vieux exemplaires lavés par la pluie). Cette russule pousse sous les pins, plus rarement sous les épicéas et est assez commune. Sa chair est douce, elle est donc comestible, mais médiocre. Les deux caractéristiques de cette russule sont l’aspect cocardé du chapeau et l’odeur d’iodoforme de la base du pied.

 

RUSSULA  AMARA ( Russule amère ) Russula caerulea ( russule bleue ) est synonyme. Voilà une bien honnête russule qui ne cache pas son identité car son chapeau est manifestement mamelonné, à lui seul, ce mamelon suffit à caractériser cette russule, seule espèce du genre Russula à posséder un mamelon. Ce mamelon est permanent et constant, d’abord pointu et saillant, il devient ensuite large et obtus, mais ne manque jamais. Pour le reste, ajoutons que Russula amara, de taille moyenne, a une cuticule brillante, de couleur pourpre vineux à violet plus ou moins foncé, avec le centre souvent plus foncé.. Le pied, souvent fusiforme, est bien blanc. Les lames sont jaune moyen. La chair blanchâtre a une odeur faible et une saveur douce, mais la cuticule du chapeau est amère. Elle pousse sous les pins, surtout en terrains acides et siliceux sur lesquels elle est commune. Elle ne mérite pas les honneurs de la table, car la cuisson exalte l’amertume de la cuticule qui se communique à la chair.

 

RUSSULA SANGUINARIA ( Russule sanguine ) Russula sanguinea et Russula rosacea

( Russule rose) sont synonymes.

C’est une espèce de taille moyenne, parfois forte. Son chapeau est charnu et rigide ou même dur, avec la marge obtuse ; sa cuticule est adnée (non séparable), sèche et mate ; sa couleur est dans la gamme des rouges : rouge sang, rouge carmin, rose-rouge vif, peu palissant avec l’âge. Le pied, plein et dur, est typiquement teinté de rose ou même entièrement rose-rouge. Les lames sont ocracées jaunâtres  et plus ou moins arquées-décurrentes, caractère tout à fait exceptionnel chez les russules. La chair est dure, blanchâtre, d’odeur faible et de saveur nettement acre. la russule sanguine pousse sous les conifères, surtout sous les pins, sur tous les terrains ; elle est assez commune. Elle est inconsommable du fait de son âcreté.

Les quatre russules que nous venons de décrire sont des espèces communes que l’on récolte régulièrement sous les pins. Les trois suivantes, sans être des raretés, se rencontrent beaucoup moins souvent, tout au moins dans notre territoire de prospection.

 

RUSSULA XERAMPELINA ( Russule feuille morte , plus exactement couleur feuille morte de vigne ) ; Russula erythropoda ( Russule à pied rouge ) est synonyme .C’est une espèce moyenne à grande. Son chapeau, charnu et ferme, mais fragile, convexe puis un peu déprimé est d’un beau rouge pourpré foncé avec le centre presque noir. Le pied est en totalité ou en partie d’un rose-rouge lumineux (cette teinte peut être discrète quand la pluie a dissipé le pigment) ; il se tâche de brun à la manipulation. Les lames sont ocre pâle et brunissantes au froissement. La chair blanchâtre brunit plus au moins à la coupe. Elle a une saveur douce et une odeur caractéristique de crustacés cuits (plus exactement de déchets de crustacés cuits : souvenez-vous du tas de tourteau concassé dans votre assiette après consommation) ; cette odeur est plus nette sur les vieux exemplaires, la chair se colore en vert sombre au contact du sulfate de fer, ce qui est également caractéristique (généralement au contact de ce réactif chimique, la chair des russules ou bien ne réagit pas ou bien se colore plus ou moins vivement en orange ou rose). La Russule feuille morte pousse sous les pins, rarement sous d’autres conifères, sur sol siliceux où elle est plus ou moins commune. C’est un médiocre comestible.

 

RUSSULA TORULOSA ( Russule robuste plus exactement Russule musculeuse ).

C’est une espèce de taille moyenne à grande. Son chapeau, charnu et ferme, reste longtemps convexe et est à peine déprimé avec l’âge ; sa cuticule, peu séparable est luisante ; sa couleur est pourpre violacé sombre. Son pied généralement court et trapu est violacé à nuance bleutée, ses lames sont ocre terne. Sa chair très ferme chez le jeune, blanche, a une odeur de pomme fraîche et une saveur un peu âcre. Cette russule pousse sous les pins en terrain calcaire ou sablonneux ; elle est assez commune (et même très commune sous les pins maritimes des Landes). Elle n’est pas comestible, du fait de son âcreté. On peut la confondre avec la très commune Russula sardonia, mais celle-ci est plus élancée , son odeur est presque nulle et son âcreté bien plus forte. Ses lamelles sont jaune citrin et rosissent au contact de l’ammoniaque.

 

RUSSULA CESSANS ( Russule tardive )

 

C’est une espèce de taille petite ou à peine moyenne. Son chapeau dont la cuticule est séparable sur les 2/3 du rayon, est d’une couleur très variable : rouge vineux, rouge cramoisi, rouge lilacin, brun-rouge, gris rosâtre. Son pied, un peu en massue est blanc et plus ou moins grisonnant avec l’âge ou par imbibition. Ses lames très ventrues et larges, sont d’un jaune ou jaune orangé soutenu à maturité. Sa chair blanche a une odeur faible et une saveur subdouce mais piquante dans les lames. Cette russule pousse sous les pins, surtout sur sol sablonneux. Elle est plutôt tardive ( de septembre à novembre ) et est plus ou moins commune suivant les régions, on la rencontre parfois en Sologne. C’est un médiocre comestible.

Voilà donc les russules qu’inévitablement vous rencontrerez sous les pins, fréquemment pour les quatre premières. Vous voyez donc que ces russules des pins ne sont pas très nombreuses. Mais n’oubliez pas que dans nos forêts, les conifères poussent souvent en mélange avec les feuillus (chênes, bouleaux et charmes en particulier) et, qu’avec eux, poussent d’autres espèces de russules, beaucoup plus nombreuses, ce qui complique sérieusement les choses.

 

                                                                                                  Dr. Jean  PRADY