LE PERFIDE

 

 

 

 

 

C’est un des noms communs de l’entolome livide (Entoloma lividum) et ce substantif est tout à fait mérité car ce champignon robuste et ferme, qui sent bon la farine, a une allure plutôt engageante, mais si vous le consommez, il vous gratifiera d’une violente et spectaculaire gastro-entérite avec vomissements, diarrhées et coliques très pénibles. Ce type  d’intoxication, appelé par les spécialistes syndrome résinoïde ou gastro-entérique, n’est pas l’apanage de l’entolome livide. Le tricholome léopard (Tricholoma pardinum), espèce montargnarde, le clitocybe de l’olivier (Omphalothus illudens), parfois le bolet satan (Boletus satanas) ou des espèces voisines provoquent de telles gastro-entérites. Ce syndrome résinoïde a une incubation courte, les symptômes apparaissant rapidement après la consommation du champignon (rappelons que l’intoxication par l’amanite phalloïde a une incubation longue, de plusieurs heures à plusieurs jours). Fort heureusement ce syndrome est très rarement mortel, mais chez les personnes dont l’état de santé est précaire, il peut entraîner des complications graves nécessitant une hospitalisation. C’est dire que notre perfide mérite d’être pris en considération et c’est ce que nous allons faire en vous le présentant et en le comparant à des champignons comestibles susceptibles d’être confondus par un récolteur imprudent.

L’entolome livide est un gros champignon : c’est même le plus gros des entolomes, à la forte stature et à la silhouette massive. Le diamètre de son chapeau peut atteindre 20 cm. et plus. Ce chapeau , épais et charnu, est d’abord conique-obtus puis convexe et finalement étalé et vaguement bossu au centre. Sa surface est sèche et marquée d’un chevelu plus ou moins net de petites fibrilles radiales innées (c’est-à-dire sans relief, incluses dans la cuticule). Sa marge est longtemps enroulée. Sa couleur est gris clair à beige jaunâtre. Le stipe (pied) est robuste et solide, souvent recourbé et épaissi à sa base. Sa couleur, blanc soyeux, se macule de jaunâtre avec l’âge. Les lames sont échancrées (c’est-à-dire que leur arête dessine une brusque concavité avant de s’insérer sur le pied) et, caractère essentiel, elles sont d’abord jaune de beurre puis deviennent rose saumoné jaunâtre lorsque les spores se forment. La chair, ferme et compacte, dégage une forte odeur de farine. La sporée (c’est-à-dire les spores recueillies en couche épaisse) est de couleur brun orange et la spore est polyédrique à 5-7 angles (la forme polyédrique des spores et la couleur rose ou briquetée de la sporée sont communes à tous les entolomes). L’entolome livide se rencontre sous les feuillus, surtout sous les chênes, les charmes et les châtaigniers en été et en automne, principalement sur les sols argilo-calcaires. C’est une espèce commune dont la répartition est inégale. Certaines années favorables, elle peut être très abondante. Ainsi, il m’est arrivé de rencontrer dans un sous-bois humide, émergeant d’un tapis de lierre, une quantité invraisemblable d’entolomes livides, des dizaines de kilos, de quoi purger toute la ville d’Agen où j’habitais alors. Avec quels champignons peut-on confondre notre dangereux entolome ? Théoriquement avec les gros entolomes de printemps et particulièrement avec l’entolome en bouclier (Entoloma clypeatum) qui est un bon comestible. Cependant, la période de pousse de ce dernier, strictement printanière, lève tous les doutes puisque le perfide pousse toujours en automne et jamais au printemps. Signalons au passage que tous ces gros entolomes de printemps qui sont, outre l’entolome en bouclier, l’entolome d’avril (Entoloma aprile), l’entolome des haies (Entoloma sepium) et l’entolome de Saunders (Entoloma saundersii) sont tous comestibles sauf l’entolome blanc de neige (Entoloma niphoides), espèce rare, très voisine de l’entolome des haies et reconnaissable à son chapeau d’un blanc éclatant, qui causerait de sérieuses gastro-entérites comme l’entolome livide. A l’automne, on rencontre souvent sous les feuillus l’entolome gris rosâtre (Entoloma rhodopolium), l’entolome à odeur de brûlé (Entoloma nidorosum), et l’entolome blanc livide (Entoloma lividoalbum). Les deux premiers sont responsables de gastro-entérites mais nettement moins graves que celles provoquées par le perfide. La comestibilité du troisième est inconnue mais il est suspect. Il est difficile de confondre ces trois champignons de taille moyenne et d’allure gracile avec le volumineux et massif entolome livide.

Finalement, et en pratique, le seul risque réel est celui de confondre l’entolome livide avec le clitocybe nébuleux (Clitocybe nebularis) car il arrive que la couleur et l’aspect du chapeau soient tellement semblables chez les deux espèces que la distinction est impossible à faire, même pour un mycologue expérimenté, si on ne retourne pas le champignon. Le clitocybe nébuleux  est un clitocybe de grande taille (diamètre du chapeau jusqu’à 20 cm.) qu’on trouve communément en automne, sous les feuillus et les conifères, souvent tardivement en saison et généralement en groupes de nombreux individus formant souvent en cercles. Il est comestible, bien que son odeur et sa saveur, assez fortes, ne plaisent pas à tous. Il peut provoquer, rarement d’ailleurs, des troubles gastro-intestinaux bénins chez certaines personnes et on conseille de ne récolter que les jeunes exemplaires sains. De plus, il est conseillé de le consommer avec modération.

Trois caractères botaniques permettent de distinguer sans équivoque les deux espèces à savoir l’entolome livide et le clitocybe nébuleux :

 

                      * Les lames : échancrées chez l’entolome livide, décurrentes ( c’est-à-dire descendant sur le pied) chez le clitocybe nébuleux, certes brièvement mais incontestablement. Par ailleurs, leur couleur est nettement différentes : jaune puis rose saumonée chez l’entolome livide, blanchâtre puis jaunâtre sale chez le clitocybe nébuleux, sans aucune teinte rosée.

 

 

          * L’odeur : purement et fortement farineuse chez l’entolome livide, forte mais complexe et difficile à définir chez le clitocybe nébuleux (douceâtre, de moisi, plutôt nauséabonde), en tout cas absolument pas farineuse.

 

 *  La sporée : brun rose chez l’entolome livide, crème chez le clitocybe nébuleux.

 

             *  La spore : vue au microscope, la spore a une forme polyédrique chez l’entolome livide, elliptique  chez le clitocybe nébuleux.

 

On voit donc qu’avec un minimum d’attention on ne peut pas confondre les deux champignons.

 

J’espère que cette petite présentation vous permettra d’échapper à la perfidie de l’entolome livide si d’aventure vous le rencontrez, ce qui vous évitera de renouveler la fâcheuse expérience d’un des pères de la mycologie française, le franc-comtois Lucien Quélet qui, invité par sa tante, mangea un entolome livide dont il garda un inoubliable souvenir. C’est ainsi qu’il découvrit les propriétés toxiques du champignon.

 

 

                                                                                  Dr. Jean Prady