Deux Agarics à distinguer

 

A Baule, village situé entre Beaugency et Meung-sur-Loire, la terre fertile du Val de Loire est plantée de nombreux vergers de pommiers qui alignent leurs longues rangées rectilignes et parallèles d'arbres taillés « à plat ». Entre ces rangées pousse une herbe rase parce que souvent tondue. Dans cette herbe les pluies d'automne provoquent régulièrement une poussée fongique d'espèces diverses, favorisées par les méthodes de culture (arrosage, usage d'engrais chimiques et présence de débris ligneux plus ou moins enterrés, reliquats de taille). Ainsi on récolte habituellement des psathyrelles (P. candolleana, P. conopilus), Coprinus comatus, Marasmius oreades, Bolbitius vitellinus, Tubaria furfuracea, Vascellum pratense, ainsi qu'une petite lépiote redoutable car mortelle : Lepiota brunneoincarnata, et j'en passe.

On récolte aussi deux gros agarics qui poussent souvent en mélange et qui font l'objet de cette petite causerie : Agaricus arvensis (Agaric ou Psalliote des jachères, boule de neige) et Agaricus xanthoderma (Agaric ou Psalliote jaunissant), le premier excellent comestible, le second réputé toxique. A première vue ces deux champignons sont absolument identiques: même chapeau charnu, ferme,lisse et soyeux, blanc, même pied blanc muni d'un anneau double à « roue dentée » sur sa face inférieure. Sans un peu d'attention et quelques connaissances mycologiques la confusion est inévitable.

Comment les distinguer ? par l'odeur de la chair : odeur d'anis, mais faible et fugace chez A. arvensis ; odeur désagréable d'iodoforme, de phénol, plus exactement d'encre d'école chez A. xanthoderma. Egalement par la réaction de la chair au contact de l'air : si vous blessez le champignon, la chair jaunit fortement et presque immédiatement, particulièrement à la base du pied, chez A. xanthoderma ; ce jaunissement se manifeste aussi chez A. arvensis, mais il est faible et tardif.

Il arrive assez souvent que les conditions météorologiques occultent les deux caractères : le jaunissement est incertain et les odeurs ne sont pas perceptibles. Un troisième critère vous donnera alors le diagnostic: la couleur des lames sur les exemplaires jeunes ; elles sont d'un gris rosâtre terne chez A. arvensis, d'un rose carné vif chez A. xanthoderma.

Ceci dit, mes compatriotes Baulois récoltent et consomment sans les distinguer ces deux agarics ; ils n'en sont pas pour autant particulièrement incommodés. Tout au plus remarquent-ils que certains des champignons cuisinés ont un goût et une odeur désagréables (l'odeur d'encre s'accentue à la cuisson). C'est la preuve que la toxicité d'A. xanthoderma est fort réduite et se limite au pire à quelques désordres gastro-­intestinaux sans gravité chez les personnes sensibles. Mais, en bons mycologues, restons cependant prudents et rejetons tout agaric dont la chair jaunit fortement.

 

                                                                                                                        Dr. Jean Prady