Un sympathique second couteau

 

 

Chez les bolets, il y a une incontestable vedette qui fait l'objet de toutes les convoitises : le cèpe (mot d'origine gasconne qui dériverait du latin cippus, qui a donné le mot français cippe, lequel désigne une colonne tronquée qui servait de borne ou de monument funéraire. Personnellement, la relation avec le cèpe ne me paraît pas évidente !). Seules quatre espèces ont droit à ce nom prestigieux : Boletus edulis ou cèpe de Bordeaux, Boletus aestivalis ou cèpe d'été, Boletus aereus ou bolet bronzé et Boletus pinophilus ou cèpe des pins, bien mal nommé puisqu'il pousse aussi souvent sous feuillus que sous conifères.

Mais, à côté de ces quatre caïds, les bolets comptent dans leurs rangs quelques seconds couteaux qui, s'ils n'ont pas les qualités majeures du cèpe, n'en sont pas moins de très agréables comestibles ; ils ont en plus l'avantage d'être souvent dédaignés par les chercheurs qui ne les connaissent pas. C'est l'un d'eux qui fera l'objet de notre petite causerie : le bolet bai (Xerocomus badius).

C'est un bolet de taille moyenne dont la stature n'atteint généralement pas celle des cèpes. Son chapeau épais et charnu est un peu visqueux en cas de pluie, mais sec et mat lorsque le temps est clément ; sa couleur correspond bien à son nom : c'est un beau bai brun, assez foncé, parfois presque noir, uniforme et inaltéré tout au long de la vie du champignon. Son pied généralement cylindrique, sans réseau, est de la tonalité du chapeau mais plus clair: jaune brunâtre à brun roussâtre. Ses pores, assez petits et anguleux, sont d'abord blanchâtres avant de devenir jaune pâle puis jaune verdâtre ; ils deviennent bleu verdâtre au contact, ce qui nous fournit le meilleur critère d'identification du champignon ; l'épreuve du pouce ; si on appuie pendant quelques secondes le pouce sur les pores, il laisse une nette teinte bleu verdâtre sale là où le contact a eu lieu et là seulement. La chair, d'abord assez ferme, s'amollit avec l'âge ; sa saveur est douce, à la coupe elle bleuit plus ou moins, surtout au-dessus des tubes (rappelons que le bleuissement de la chair n'est pas un critère de toxicité et qu'il nous rend bien service en effrayant les chercheurs de champignons ignorants).

Où trouver notre bolet bai ? Surtout sous les conifères, les pins en particulier, plus rarement sous les feuillus. Il préfère les sols acides et siliceux. On peut le rencontrer dès le mois de juin mais la poussée principale a lieu en septembre et octobre ; elle peut se prolonger jusqu'en décembre. Certaines années, ce bolet est très abondant (ainsi au cours du mois d'octobre 2000, on en remplissait facilement son panier en Sologne). D'une façon générale, il est très commun. On peut le confondre avec d'autres bolets ( Boletus edulis, Xerocomus chrysenteron, X. subtomentosus, X. spadiceus) ; la confusion est sans conséquence grave, tous ces bolets étant comestibles. Quant à notre bolet bai, c'est un excellent comestible. Les exemplaires jeunes et fermes ont une saveur qui n'est pas loin de celle des vrais cèpes. Personnellement, une fois cuits, je considère qu'on ne peut pas faire la différence. Il se conserve bien par dessiccation.

Pour conclure, apprenez à reconnaître le bolet bai, c'est facile : chapeau brun châtain uniforme, pied jaune brunâtre, sans réseau, pores devenant bleu vert sale au contact. Il vous permettra souvent d'éviter la triste bredouille les jours où cèpes, girolles, pieds de mouton, trompettes des morts et autres ne sont pas au rendez-vous.

 

                              Dr. Jean PRADY