UN BON COMESTIBLE PRECOCE

 

Dans la vaste cohorte des saints (ils sont officiellement 2470, sans compter les saints à usage local), saint Georges est une vedette: l’Angleterre l’a choisi comme saint patron en l’an 800; en France 84 communes portent son nom; il est aussi le saint patron des cavaliers, des scouts et des soldats; en plus c’est lui qui a terrassé le dragon, à cheval et d’un coup bien placé de sa longue lance, comme nous le confirment les multiples représentations picturales présentes dans les musées. Enfin, et très accessoirement, il a donné son nom à un champignon qui, si vous le voulez bien, sera le sujet de notre article.

            Il s’agit du tricholome de la saint Georges dont le nom scientifique était initialement Tricholoma georgii mais que les progrès de la science mycologique et les subtilités de la nomenclature ont transformé d’abord en Lyophyllum georgii puis en Calocybe gambosa qui est l’actuel nom valide. Pour les curieux d’étymologie, gambosa dérive du bas latin gamba - jarret des quadrupèdes – et gambosa peut se traduire en français par « à jarret bien développé » ou par « bien jambé ». C’est une allusion probable au pied court, trapu et compact, du champignon. Notons au passage que gamba nous a donné à la fois jambe et gambette. Mais je m’égare.

            Revenons donc à notre Calocybe bien jambé pour dire que sa bonne renommée lui a valu une liste impressionnante de noms vulgaires : mousseron vrai (rappelons que le faux est le marasme des oreades : Marasmius oreades), mousseron de printemps, mousseron blanc, muscat, blanquet, courcouliette, maggin, brignole, moussaïrou et j’en passe.

            Comment se présente notre champignon ? Sa taille est respectable, le diamètre du chapeau de 5 à 15 cm. Son chapeau est épais, très charnu au centre, bien ferme, convexe et le restant. Longtemps sans aucun mamelon, avec une surface sèche, mate et veloutée, douce au doigt comme une peau de daim au début, lisse et brillante ensuite. Sa marge est fortement enroulée chez les jeunes exemplaires. La couleur du chapeau est pâle : blanc, blanchâtre, crème ochracé, au plus brun jaunâtre clair chez les exemplaires âgés. Le pied est généralement plutôt court et trapu, épais et ferme, concolore au chapeau comme le sont les lames très serrées et remarquablement étroites. La chair, ferme et compacte, nous offre un caractère distinctif majeur : sa puissante odeur de farine fraîche. Sa saveur est également farineuse.

            Le mousseron est un champignon printanier. Il paraît vers la fin du mois d’avril (la Saint George est le 23 avril 2005) et persiste jusqu’à la fin juin. Des résurgences seraient possibles à l’automne en période de forte poussée fongique, ce qui n’est pas admis par tous les auteurs. Personnellement je n’ai jamais rencontré de mousseron en automne. Si vous voulez le récolter, ne vous enfoncez pas dans les grands bois profonds car il vient dans les lieux découverts : prairies, parcs, haies, lisières des bois, vergers, taillis et bosquets clairs et aérés, clairières herbeuses. Rarement isolé, il pousse habituellement en troupes plus ou moins nombreuses, dessinant souvent des ronds de sorcière ou des lignes plus ou moins sinueuses. Il est fidèle à ses stations et réapparaît tous les ans aux mêmes places ; il y a des endroits à mousserons comme il y a des endroits à morilles. Il préfère les sols calcaires, ce qui explique qu’il soit absent dans certaines régions.

            C’est un comestible estimé et très recherché, bien que le goût très prononcé de sa chair compacte puisse ne pas plaire à tous, dans ce cas on le fera blanchir. Il faut rejeter les pieds qui sont durs et coriaces.

            Compte tenu des endroits et de la période où il pousse, les risques de confusion avec un champignon toxique sont réduits. Le dangereux inocybe de Patouillard (Inocybe patouillardii) commence à paraître alors que le tricholome de la saint Georges n’a pas fini sa poussée ; comme lui il a un chapeau blanc et épais au début, il vient dans les endroits découverts et est calcicole mais la forme conique puis mamelonnée de son chapeau à revêtement fibrilleux fendillé, ses lames gris brunâtre, la tendance au rougissement de tout le champignon et l’absence d’odeur de farine permettent une distinction facile pour peu qu’on fasse preuve d’un minimum d’attention. Et pourtant des confusions entre ces deux champignons ont eu lieu.

            La mortelle amanite printanière (Amanita verna) pousse comme notre mousseron et comme son nom l’indique au printemps mais pas exclusivement. Elle paraît dès le mois de mai, elle est toute blanche, on peut la rencontrer dans les taillis et les lisières. Il y a donc en théorie un risque de confusion. Mais l’amanite printanière a une allure plus élancée, elle est munie d’un anneau et d’une volve et elle ne sent pas la farine. C’est d’ailleurs un champignon méridional qui aime la chaleur et qui est très rare dans nos terrains de prospection.

            Le tricholome de la saint Georges possède un sosie : Calocybe constricta (Calocybe lié ou étranglé) qui lui est semblable en tous points, entièrement blanc comme lui et comme lui à forte odeur de farine. Il ne s’en distingue que par deux caractères : d’abord son pied porte un anneau plus ou moins membraneux qui disparaît facilement, ensuite il pousse en automne. Il est rare et vient dans les pelouses, les prairies, les champs, particulièrement aux endroits enrichis en azote par un apport d’engrais. Ainsi je l’ai rencontré sur une levée de la Loire à un emplacement où un cultivateur, peu soucieux de développement durable, avait abandonné des sacs en plastique ayant contenu de l’engrais. Comme le mousseron, c’est un bon comestible.

            Voilà, le tricholome de la saint Georges n’a plus de secret pour vous. Vous saurez maintenant reconnaître ce champignon précoce qui, la chance aidant, peut vous procurer d’abondantes récoltes d’autant plus appréciées qu’à la période où il pousse les champignons ne sont pas légion. Rappelez-vous, il est tout blanc ou, au moins pâle, bien en chair, plutôt trapu, avec des lames serrées et étroites et, surtout, il sent la farine à « plein nez ».

 

                                                                                              Jean Prady